Comment je suis devenue dominatrice

Comme beaucoup, j’ai commencé en virtuel. Jeune étudiante, j’avais entendu parler de la vente de petites culottes portées et espérais pourvoir m’en servir pour élever un peu mon niveau de vie et mettre assez d’argent de côté pour poursuivre mes études tout en étant financièrement indépendante. C’est comme ça que j’ai atterri sur vendstaculotte.com à l’âge de 19 ans. Mes débuts étaient d’ailleurs bien loin du BDSM !

Sortant d’une première relation très toxique et abusive, j’ai d’abord recréer tout naturellement le climat de violence qu’elle m’avait inculquée. J’ai commencé mon activité sous le nom de YameteSensei car j’étais persuadée que je ne pourrais plaire suffisamment et gagner de l’argent qu’en jouant les soumises. Mes prix, alors excessivement bas et le fait que je n’ose pas poser mes limites ont évidemment attiré les personnes qui cherchaient cela.

J’ai vite été marquée, en parcourant les profils de mes nouvelles collègues, par le très grand nombre de dominatrices présentes sur le site qui, dans ma tête de petite innocente, ne pouvais pas servir à autre chose que ce que son nom prétendais… à savoir permettre la vente et l’achat de dessous portés !

Plusieurs “soumis” m’ont d’ailleurs contacté durant cette période là, attirés comme des mouches par les prix très bas, me “forçant” à les soumettre (oui oui, on est d’accord, ce n’est pas très logique). Mes premières expériences avec le “BDSM” (ou en tout cas l’image qu’on m’en donnait) ont donc été très toxiques et négatives et c’est donc tout naturellement m’en suis naturellement éloignée.

Dabord dégoutée par ces premières expériences et impressionnée par la “concurrence”, je n’ai pourtant pas abandonné. J’ai fini par retrousser mes manches et ai décidé de prendre le temps de me créer un univers. J’ai abandonné mon premier pseudo pour prendre celui de Yoni (mot qui désigne le sexe féminin en sanskrit, en plus d’être simple, court et de présenter une sonorité agréable !) avec pour objectif de me créer ma petite bulle à moi, ma safe-place érotique et de “redorer” l’objectif premier du site en vendant des dessous et clichés sexys. J’ai augmenté mes prix, réfléchi et travailler mon esthétique, me suis basée sur ce qui me faisait envie et ai commencé à poser clairement mes limites.

Après un début très lent, les commandes ont commencé à s’enchaîner et pendant plus d’un an, je n’ai pas lavé une seule culotte… et puis la pandémie est arrivée et je n’en ai plus vendu une seule. Confrontée à la chute de mon petit business, j’ai donc dû réfléchir à une alternative.

Je savais que la domination fonctionnait bien, mes collègues dominatrices avaient l’air de s’épanouir. Mais je ne me sentais toujours pas à ma place dans ce milieu et tout ce que j’en voyais était alors très éloigné de ma personnalité : le cuir, le rouge et le noir, des esthétiques sombres, le cliché de la petite peste vénale qui insulte tout le monde et qui exige des offrandes mirobolantes sans rien offrir en retour, beaucoup de conflits de “concurrence” entre collègues, beaucoup de haine, de rejet, de jugement des nouvelles, de compétition et de comparaison pour décider de qui est un “vraie” dominatrice ou non…

Et puis, je ne sais plus bien comment, mais j’ai fini par réaliser qu’il n’y avait pas de règles, que j’étais libre de créer mon univers, sous mes propres conditions. Que ça ne plairait pas à tout le monde, mais que ce n’était pas grave : il suffit d’attirer les bonnes personnes et on attire souvent les bonnes personnes en étant soi-même !

Si mon expérience du BDSM avait été jusque-là toxique, violente, rarement consentie et désagréable, alors, peut-être, que même sans “rien en connaître”, je pouvais me baser là-dessus pour créer l’inverse, devenir le modèle de la dominatrice que j’aimerais voir, pratiquer dans les conditions qui me paraissent saines et avec enthousiasme.

J’ai aussi la “chance” d’être switch dans ma vie sexuelle personnelle, ce qui m’a permis et me permets encore d’approcher le BDSM des deux côtés du miroir et de m’inspirer de ces expériences pour offrir les meilleures possibles aux personnes qui me contactent. Je pense que connaître également le rôle de “soumis.e” permets d’autant plus d’empathie et d’attention à chaque détail lorsqu’on prends la position dominante pour accompagner quelqu’un.e d’autre.

J’ai commencé, très progressivement la domination (toujours en virtuel), avec dès le début la forte volonté de “filtrer” en fonction du feeling, pour que le rapport humain puisse être au centre de mes pratiques et que le plaisir reste partagé. J’ai fait de très belles rencontres (certains des soumis qui m’ont contactée durant cette période, sont toujours là, des années après, et c’est un honneur pour moi de continuer à les accompagner !) et à absorber tout ce que je pouvais sur le BDSM… pour finalement créer le mien :

Un BDSM humble (un.e dom ou un.e soumis.e, même très expérimenté, ne saura jamais tout, en particulier quand il s’agit de rencontrer un.e nouvelle.au partenaire). Un BDSM accessible, ouvert et pas hermétique (il y a autant de façon de le pratiquer et de le définir que de paire Dominateur.ice/soumis.e). Un BDSM sain, safe et consensuel (qui ne rentre pas toujours dans le cliché du plein pouvoir de lae Dom sur saon soumis.e). Un BDSM humain, qui laisse la place et le temps pour apprendre à être pleinement soi-même, se montrer vulnérable et lâcher prise. Un BDSM “bac à sable”, terrain de jeu et expérimental, bien loin d’être toujours sérieux.

Jusque là, j’avais encore la chance d’être étudiante et soutenue financièrement, en tout cas pour le plus gros, par mes parents (qui n’avaient et n’ont d’ailleurs toujours aucune idée de ce que je fais dans la vie, je n’en suis pas très proche). C’est ce privilège qui m’as permis de pouvoir prendre le temps de me développer en tant que TDS (travailleuse du sexe), car mes rentrées d’argent liées à cette activité pouvait être un appoint agréable, qui me permettais de manger mieux et de me faire un peu plaisir, sans être pour autant quelque chose de vital.

Puis j’ai validé ma licence (en sociologie et anthropologie) et n’ai pas eu la chance d’être retenue pour le Master très sélectif (anthropologie biologique) auquel j’avais postuler. Mes petits revenus de TDS m’ont heureusement permis de prendre mon indépendance financière, renforcé par d’autres petits boulots et un service-civique (qui s’est, sans grande surprise, très mal passé), et de me former au maximum pour retenter, chaque année, d’être reçue pour poursuivre mes études.

Trois ans et trois sessions de candidatures se sont écoulés sans résultat plus positif que des places sur listes d’attentes et j’ai bien dû me rendre à l’évidence que ce “trou” dans mes études n’allait pas être si provisoire que ça. Face à la décision de “qu’est-ce que je fait maintenant ?”, j’ai décidé de me lancer “pour de bon”. J’ai créé ma micro-entreprise, j’ai commencé à déclarer mes revenus et à payer mon “dû”, chaque mois, à l’URSSAF (eh oui, le travail du sexe est légal en France, tant qu’il est fait de manière indépendante et déclaré !).

J’ai encore une fois tout révolutionné, changé de pseudo pour prendre celui d’Osmie (les osmies sont de très jolies petites abeilles sauvages et solitaires et leur nom a le mérite d’être très proche de la sonorité de “Yoni”, pseudo que j’ai quand même gardé plusieurs années), commencé à proposer mes services en réel (plus seulement à mes amant.es)… et à vraiment m’épanouir, toujours en suivant le fil conducteur de l’accompagnement dans la bienveillance et avec un côté humain et complice très appuyé (ce qui n’empêche pas des sessions très intenses ou violente, bien au contraire).

Le travail du sexe, le fait d’être indépendant.e de manière générale, c’est précaire : pas de revenu fixe, pas de congés payés, de congé maternité ou d’arrêt maladie, pas de retraite… malgré le fait que je donne chaque mois un peu plus de 22% de mon chiffre d’affaire à l’URSSAF et que je paie des impôts comme tout le monde.

J’ai évidemment pensé plusieurs fois à arrêter, à trouver quelque chose de plus stable… mais je suis aussi quelque part sur le spectre de l’autisme, dépressive, très sensible et extrêmement anxieuse. Pour avoir été plusieurs fois dans des circonstances de travail “classique” avec un rythme “normal”, des collègues etc., je sais que c’est quelque chose qui ne me convient pas, qui me casse même et dans lequel je ne pourrais pas m’épanouir, en particulier sur le long terme.

La vie est faite de sacrifices et je préfère mille fois ma liberté et mon indépendance (même si ça implique une certaine précarité) au fait de laisser le système me casser ! Tout le monde devrait pouvoir avoir l’opportunité de gagner sa croute d’une façon qui le rendes enthousiaste et lui permettes de s’épanouir (tant que ça ne fait de mal à personne).

En plus de ça, loin de n’être qu’un métier, le travail du sexe et la domination sont pour moi des moyens de me découvrir, de découvrir les autres, de m’exprimer, d’être moi-même et de militer !

Bien plus qu’un échange érotique ou sexuel, le travail du sexe de manière générale, c’est aussi bien souvent, pour les client.es, une porte d’entrée thérapeutique, qui demande un peu moins de courage à pousser que celle d’un.e psychologue (en particulier quand on est une personne assignée homme à la naissance et qu’on est plus validé dans le fait d’avoir une vie sexuelle active que de parler de ses émotions) et qui permet de se raconter, de se livrer, de se découvrir, de s’apprendre.

Une séance BDSM, c’est donc, quelque part, une sorte de bac à sable érotique où expérimenter, dans un cadre sécuritaire, ce qu’on ne s’autorise pas (ou qu’on n’est pas autoriser) à expérimenter dans la vie.

C’est d’ailleurs pour ça que je tiens au fait de construire des relations BDSM suivie : voir l’évolution de chacun.e des personnes que j’accompagne, les voir prendre confiance, accepter de plus en plus de se laisser-aller, de se montrer vulnérable, de ressentir des choses et de les communiquer, c’est très beau.

Le plus magnifique pour moi, c’est de voir à quel point ça peut avoir un impact extrêmement positif dans la vie personnelle de mes client.es : j’en ai vu repartir, très fiers d’eux, prêts à arrêter, parce qu’ils arrivaient désormais mieux à communiquer avec leur partenaire et avaient envie de se concentrer là-dessus et de partager le BDSM au sein de leur couple. J’en ai vu d’autres, isolés depuis longtemps, commencer à prendre confiance en eux et à s’épanouir socialement (parfois même à un âge très avancé).

Mon but n’est pas de garder, encore moins de créer de la dépendance, mais d’accompagner chacun.e, autant que je peux, vers son épanouissement. Je continue de me former en autonomie pour le moment, mais c’est d’ailleurs prévu que je reprenne des études de psychologie puis de sexologie, dans le but d’offrir un accompagnement toujours plus professionnel et qualitatif à mes client.es.

Et mon histoire de dominatrice continue de s’écrire !

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