L’envers du décor : Pourquoi j’adore être TDS / Dominatrice
Dans un article précédent (“L’envers du décor : pourquoi les TDS ne sont pas ‘vénales’”), j’ai évoqué les réalités (dures) du travail du sexe (TDS) : précarité, coûts, risques... Tout ça, je le pense et le vis très fort et je trouve que ces réalités sont importantes à connaitre et à prendre en compte. Mais il est évident qu’il n’y a pas que du négatif et, pour ma part, je dirais même que (malgré tout ça) j’adore mon métier !
Alors, voici un petit article, complémentaire au premier, pour exprimer ici tout ce que j’adore dans le fait d’être TDS et dominatrice !
Le travail du sexe est un domaine accessible !
Si tu as déjà lu d’autres de mes articles, mes débuts, tu les connais déjà : j’ai commencé le TDS à 19 ans, pendant mes études. La maigre pension que me versaient mes parents ne suffisant clairement pas à me permettre un mode de vie sain et correct, j’ai cherché ce que je pouvais faire, sans trop de contrainte (je voulais garder du temps et de l’énergie pour me concentrer sur mes cours) et sans avoir besoin de justifier d’expériences précédentes (que je n’avais pas) ou de diplômes qualifiants (que j’avais encore moins).
Le TDS (travail du sexe) est apparu comme une bonne option pour la personne relativement ouverte et curieuse que j’étais et j’ai pu commencer tout simplement, avec mon portable (pour prendre des photos et échanger), la connexion internet de la fac et mon stock de petites culottes vieillottes et défraichies. Et même si je ne peux pas dire que ça m’as directement permis d’en vivre, je suis toujours très heureuse de m’être lancée à ce moment là de ma vie, quand je pouvais me permettre de faire ce cette activité un bon revenu complémentaire, sans la pression de devoir “faire assez” pour en vivre totalement. Ce que je gagnais était alors un bon surplus, qui m’as permis d’élever progressivement mon confort et mon niveau de vie.
Il a fallu quelques années pour que ça démarre (comme tout business), mais même 50€ en un mois, ça change beaucoup de choses quand on a peu et j’ai pu prendre mon indépendance financière quelques années après, en en vivant au moins assez pour payer moi-même mes factures ! On pourra dire ce qu’on voudras du travail du sexe, il m’as, pour ma part, sauvée de la détresse financière… et je ne vois pas beaucoup d’autres domaines qui permettent de gagner un peu d’argent sans formation ni avoir à investir quoi que ce soit !
J’ai pu créer mon business moi-même, au fur et à mesure, tout en continuant mes études de façon plus sereine. Et quand j’ai fait une pause dans ces dernières, le TDS m’a permis d’avoir une jolie base pour faire des choix pour moi-même, sans trop de pression (me former en autonomie, essayer d’autres domaines de travail, prendre du temps d’introspection pour apprendre à me connaitre et prendre soin de moi, etc.).
Une petite bulle à soi = un espace pour s’affirmer
Ce que je trouve extrêmement beau là-dedans, c’est que qui qu’on soit, quel que soit notre taille, notre style, notre forme… Le TDS est accessible à tous.tes ! Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas besoin de correspondre aux standards de beauté et/ou du porno pour trouver son public ! Il y aura évidemment toujours des con.nes pour sortir des dingueries, grossophobes, transphobes ou giga sexistes, mais pour peu qu’on apprenne à les ignorer et qu’on arrive à prendre assez confiance en soi pour créer son propre univers, son esthétique, sur mesure, au sein duquel on est une véritable oeuvre d’art… alors viennent à nous ceux qui cherchent à admirer précisément ce qu’on est, pour nos particularités et tout ce qui nous rend unique !
Quand j’ai commencé, j’étais jeune, cassée par la vie, les injonctions sexistes et les critères de beautés. J’étais bourrée de “particularités” (volonté de conserver ma pilosité naturelle, grosse cicatrice au niveau du cou, etc.) pour lesquelles j’avais par le passé beaucoup été moquée et rejetée. L’un de mes rêves, dans la vie, était d’ailleurs de devenir modèle photo, pour enfin assumer et participer à la normalisation des corps, des vrais corps, bien loin d’être lisses et parfaits (mais pourtant tous si beaux) ! Devenir TDS et m’offrir l’opportunité d’embrasser pleinement ces parties de moi, de les mettre au premier plan, même, de laisser mon corps être, d’autant plus dans un cadre érotique, m’as permis non seulement de me sentir mieux avec moi-même, de m’affirmer, de m’épanouir, mais aussi de réaliser ce rêve !
Devenir TDS, puis dominatrice, m’as aussi permis, quelque part, de renouer avec la sensualité et l’érotisme, de me re approprier ma sexualité. Ici c’est ma personne, mon univers, mes règles ! Et avoir un espace où explorer à mon rythme (et de façon, je trouve, bien plus libre et sécuritaire que dans le cadre de relations intimes personnelles) mes envies, mes doutes et mes limites, apprendre à les communiquer clairement et sans me sentir obligée de présenter des excuses ou offrir compensation à chaque “non” que je formule… as été véritablement salvateur ! J’avais de grosses difficultés avec l’affirmation de moi et le TDS a été une sorte de bac à sable qui m’as permis d’apprendre à mon rythme à ce sujet.
Je te mets au défi, toi qui me lis, de trouver d’autres façons de gagner sa vie, aussi accessible, qui permettent autant de reappropriation et d’affirmation de soi (en particulier aux femmes et aux personnes sexisées).
Apprendre, beaucoup !
Devenir TDS et d’autant plus quand on s’oriente dans la domination, demande d’apprendre, beaucoup, beaucoup de choses ! J’en avais parlé dans ce fameux précédent articles sur les réalités du travail du sexe, mais je vais en re-parlé un peu ici aussi, parce que, entre nous… il est possible que ce soit l’un de mes aspects favoris !
Apprendre (beaucoup) de soi : Limites, envies, conditions, comprendre son fonctionnement personnel et ses réactions pour mieux les maîtriser et faciliter une communication saine et ouverte, etc.
Apprendre à créer, gérer et alimenter un business : les droits spécifiques au métier, déclarer à l’URSSAF, photographie, retouches, vidéos, montage, gérer un peu la lumière en fonction du rendu souhaité, choisir le bon matériel, communiquer de façon claire, efficace et concise, créer une identité visuelle, etc.
Apprendre à pratiquer : vocabulaire spécifique et acronymes (parfois en anglais), lire et se former au sujet d’un panel toujours plus vaste de kinks et pratiques BDSM, connaître leurs nuances, leurs subtilités et les associations de pratiques qui fonctionnent bien ensemble, avoir de bonnes bases en psychologie, sexologie, santé affective et sexuelle, en construction et déconstruction des tabous, traumatismes, peurs, etc.
Eh oui, parce que tout ça, c’est bien loin d’être inné ! Et qu’est-ce que c’est enrichissant d’avoir un domaine de travail aussi vaste et dont on n’aura jamais totalement fait le tour…
Apprendre tout ça, au fur et à mesure, c’est aussi gagner en vision d’ensemble, se spécialiser même, en réalité… et donc être à même de pouvoir aider d’autres personnes à mieux définir ce qu’elles recherchent, à s’approprier leurs fantasmes, leurs désirs, leurs limites et donc leur permettre de trouver leur place et de s’épanouir dans l’univers BDSM et leur sexualité. Et ça, je trouve ça très beau !
Précaire mais libre
Tout faire moi-même, ne pas avoir de patron.ne, ne devoir rendre de comptes à personne hormis à moi-même, gérer mon emploi du temps… ça rend les choses précaires et je m’en plains souvent mais, en réalité, c’est aussi terriblement agréable ! J’estime que je suis extrêmement privilégiée d’avoir accès à autant d’autonomie et de flexibilité tout en étant si jeune et en n’ayant pas encore de diplôme qualifiant (ça arrive !)
C’est cette flexibilité qui me permets d’avancer sereinement dans mes projets personnels, professionnels, dans mes études et d’accorder également du temps à ma vie militante. Et il me semble que c’est rare, d’avoir une profession source de revenu (assez pour en vivre) qui permette tout ça…
Mon business solo, ma réussite !
Et ce n’est même pas qu’une question de flexibilité ! Mon métier, c’est ma création : j’ai tout fabriqué de A à Z et je continue de le bricoler ! En tant que TDS donc qu’indépendante, j’ai la liberté de changer ou de préciser mes règles, mes conditions de travail ou mes tarifs à tout moment. Je peux, techniquement, faire en sorte que mon métier reste un cadre d’épanouissement, qui évolue en même temps que moi ! Pas besoin de démissionner pour tout révolutionner : je peux décider de faire une pause si besoin, organiser mon emploi du temps à ma guise, pour prendre le temps de faire des choses, prendre soin de mes relations ou de moi-même, je peux refuser de faire ce qui ne me rend pas enthousiaste, tout laisser tomber un jour si je me lève du mauvais pieds et aller me recoucher… Tout ça, c’est une chance !
Mon chiffre d’affaire n’est jamais stable, mais au moins je sais que tout ce que je gagne et qui me permets de vivre et d’assurer au mieux mon avenir, je ne le doit qu’à moi-même et tout le travail, la passion et l’organisation que j’ai mis dedans.
Les belles rencontres
Être TDS, c’est aussi faire de belles rencontres ! Avec des client.es, mais aussi avec des collègues ! Même si l’idée de “concurrence” est très ancrée dans le TDS, il y a aussi un bon nombre d’entre nous à fond dans la sororité et l’adelphité (adelphe, c’est le terme neutre, équivalent de frère et soeur)… et ça, c’est vraiment beau. Pouvoir se soutenir dans les moments difficiles, se raconter nos meilleures expériences, les plus drôles… les plus nulles et cocasses aussi, évidemment. C’est quelque chose qui fait du bien, surtout quand on travaille majoritairement seul.e, de savoir que, quelque part, on est tous.tes ensembles, sur le même bateau, à vivre des expériences proches (et pourtant assez uniques par rapport à d’autres domaines de travail !) et, quand on est militant.es, à sa battre pour les mêmes choses.
Et parmi les client.es… j’ai aussi rencontré des pépites ! Des gens très chouettes, plein.es d’humanité et de conversations. C’est aussi pour ça que j’aime toujours autant, quand j’en ai le temps et l’énergie, lancer des lives sur VTC : quand ça se passe bien, il peut y avoir de super discussions, qui mènent parfois à des relations plus suivies et développées ! Et, je ne le dirais jamais assez, mais c’est aussi au fil des rencontres et des relations D/s, qu’on développe ses qualités de Dom… On apprends tous.tes (beaucoup) de nos soumis.es et c’est précieux !
Au fil des années, j’ai eu le temps de rencontrer et d’accompagner pas mal de profils différents. Certains avec qui je n’ai partagé qu’une ou deux séances, d’autres que je suis encore aujourd’hui ! C’est très enrichissant, de rencontrer de nouvelles personnes, surtout en partageant ce rapport très particulier, profondément vulnérable et intime : dans les relations D/s se passent beaucoup de choses qu’on s’empêche ou qu’on ne peut pas partager ailleurs.
Un travail profondément militant
Certain.es le savent peut-être déjà, mais je suis terriblement féministe et, pour moi, le TDS est une très belle façon de militer. Pourquoi ? Et bien ou l’oublie beaucoup, mais malgré le fait que le féminisme se centre beaucoup sur l’éducation, celle-ci touche plus facilement les femmes et les personnes sexisées… et il y a finalement peu de moyens mis en oeuvre pour accompagner les hommes dans leur déconstruction. Ils sont ceux qui sont le moins encouragés à chercher des espaces de communication et à continuer de se former et de se déconstruire / reconstruire tout au long de leur vie… et pourtant c’est dans leur éducation que beaucoup de violences et de comportements oppressifs trouvent leurs racines.
Et, c’est triste à dire, mais force est de constater que c’est socialement plus valorisé, un homme qui “va aux putes” qu’un homme qui se fait accompagner par un.e thérapeute. Un homme, c’est censé être fort, avoir une libido enflammée et penser principalement au sexe… pas être attentif à ses émotions et en parler ouvertement pour essayer de relationner de façon plus saine. Dans ce contexte, les TDS semblent plus accessibles que les thérapeute et, entre deux séances, une fois le lien tissé, ils se laissent plus sereinement aller aux confiances et aux partages de difficultés et de questionnements.
La place du/de la travailleur.euse du sexe est alors une place privilégiée, qui permet d’accéder plus ouvertement à la conversation avec des hommes, de leur proposer d’autres façons de raisonner, qui, bien souvent, soulagent des souffrances bien enfouies - car eux aussi, souffrent des injonctions patriarcales, même si plus ou moins consciemment et sans forcément parvenir ou oser formuler ces mal-êtres. J’ai vu une bonne partie des soumis.es que j’ai accompagné prendre confiance en elleux, faire énormément de progrès pour s’écouter, être attentifs à leurs envies, limites, peurs et émotions, pour communiquer, avec moi, avec leurs compagnes.ons, leurs amis, mais aussi dans le cadre professionnel !
Car, on y pense peu, mais le BDSM, du moins dans une version suivie et plus construite, ne s’arrête pas à la fin des séances. Les conversations construisent, permettent de se libérer, de s’autoriser à être soi, à ressentir et peuvent avoir un réel impact positif dans sa relation à soi et aux autres ! Je trouve ça incroyable, de pouvoir offrir un peu de ça aux personnes qui font un bout de chemin avec moi !
Et puis, au-delà de ça, être TDS, c’est aussi faire tout ce qu’on attends de soi dans une société régie par le patriarcat (être avenante, polie, attentive, prendre toute la charge mentale sur les épaules, donner du plaisir, plaire, être un réceptacle à fantasmes, etc.) mais en étant payé.e pour et dans un cadre où on est un peu plus libre de poser nos conditions ! Quelque part, ça revient un peu à apprivoiser le patriarcat pour en faire son animal de compagnie, l’éduquer et l’instrumentaliser à sa guise… du moins de façon symbolique et dans la cadre du travail (soyons réalistes).
Conclusion :
J’adore mon métier.
Il y a des hauts et des bas et, oui parfois ça fait beaucoup et je râle (j’aime beaucoup râler). Les statuts de professionnels indépendants sont toujours trop peu reconnus et protégés et le travail du sexe est toujours méprisé… mais je me sens tout de même chanceuse d’avoir pu construire ma petite bulle sur les internets.
Une petite bulle qui me permet de vivre et d’avoir un certain degré de sécurité financière dans un monde ou c’est rare, pour les jeunes femmes.
Une petite bulle dans laquelle je peux être moi et imposer mes règles.
Une petite bulle qui m’encourage à cultiver ma curiosité, à apprendre toujours plus et à développer une petite expertise dans pas mal de domaines.
Une petite bulle pleine de jolie rencontres et d’humanité.
Une petite bulle qui me permette de partager, de militer et d’aider quelques personnes à s’épanouir.
Ma petite bulle à moi.